1973 Action vidéo et troisième âge. La télévision en partage
« Vidéo Troisième âge » est un projet qui fut mené du 25 juin au 11 juillet 1973 dans une maison de retraite à Hyères, qui accueillait trois cents personnes âgées, la plupart de milieux modestes. L’expérience fut menée par l’artiste Fred Forest, ami de Flusser, assisté de vidéastes, du sociologue Jean-Philippe Butaud, et de Vilém Flusser; le journaliste André Bercoff participa aussi au projet. Forest enregistra d’abord des documents sur la vie quotidienne des résidents participant au projet, puis il les fit réagir à ces vidéos. Les résidents, ne maîtrisant pas la technique vidéo, ne réalisèrent pas de films eux-mêmes, mais Forest enregistra les réunions de groupe, où chacun exposait ce qu’il aurait aimé filmer, et de nouveau les fit réagir à ces films, pour qu’ils portent un regard rétrospectif sur eux-mêmes et sur le groupe. Le propos de Forest était d’amener les retraités à exprimer la dichotomie entre leurs souvenirs, leur travail passé souvent pénible, et leur état actuel d’inactifs encadrés et enfermés par l’institution de la maison de retraite.
Une des vidéos montre Flusser s’entretenant avec une résidente, Madame Blangy, qui avait des opinions arrêtées sur bien des sujets. Dans la conversation, Flusser tente de comprendre comment les opinions de cette personne se sont formées et agencées, et comment elle a distingué le vrai du faux dans les informations qu’elle a reçues. Flusser a un ton professoral, Madame Blangy lui rappelle humblement qu’elle n’a ni sa culture, ni ses connaissances. Le trouble de cette femme est perceptible : se sentant objet d’étude, elle prend conscience que, dans ce dispositif, bien des choses lui échappent et qu’elle n’est somme toute qu’un cobaye dans ce projet.
Pour Flusser, ce projet relevait d’abord d’un travail d’analyse sociologique : étudier une situation sociale donnée, avec Forest comme instrument d’investigation. Mais ce fut aussi pour lui l’occasion d’observer de manière critique l’action de Forest dans ce contexte. Le projet fut présenté à Kassel à la documenta 6 en 1977.
Ce projet est décrit dans le livret La télévision en partage : la télévision par câble et la vidéo, dirigé par Jacques Monnier-Rabal, Gérard Métayer et Robert Stéphane, publié à Lausanne en 1973 par l’Institut d’Étude et de Recherche en Information visuelle, dans un dossier « Action vidéo et troisième âge » (pages 20–30). Dans ce dossier, Fred Forest présente ce projet dans un article titré « Action vidéo et troisième âge » et demande à trois autres participants de donner leur avis sur ce projet : le sociologue Jean-Philippe Butaud, le responsable de l’organisation gérant cette maison de retraite Monsieur de Moussac, et Vilém Flusser, qui, dans ce court texte, analyse les trois dimensions du projet : méthodologique, phénoménologique et ontologique (pages 28-29).
Ce livret de 42 pages présente aussi l’expérience de télévision en circuit fermé lors du séminaire Art et communication en décembre 1972, auquel Flusser participa, et le projet « Rue Guénégaud » avec Pierre Restany et Flusser.
L’Institut d’Étude et de Recherche en Information visuelle n’existe plus depuis vingt ans au moins. Nous n’avons pas été en mesure d’identifier un autre éditeur qui détiendrait des droits sur ce livre. Si c’était le cas, qu’il nous contacte pour être reconnu.
La description de ce projet doit beaucoup à la thèse d’Isabelle Lassignardie Fred Forest : catalogue raisonné 1963-2008 (Université de Picardie Amiens, 2010).
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