1973 Reportage Rue Guénégaud. La télévision en partage
Ce reportage de Flusser « Rue Guénégaud » est une transcription de ses propos enregistrés au magnétophone lors de cette action conçue par Fred Forest et à laquelle participèrent le critique d’art Pierre Restany et Vilém Flusser.
Du 13 au 15 mai 1973, Fred Forest, propose Archéologie du présent ou Autopsie de la rue Guénégaud, du nom de la rue dans laquelle se situait la Galerie Germain (Paris, 6ème arrdt.).
Une caméra est placée à la sortie de la galerie, dans la rue Guénégaud, et filme en permanence et sous un angle de visée fixe la rue dans la sens de la longueur vers les quais de la Seine, face au flot des voitures, les trottoirs, les passants, la circulation des véhicules, l’activité urbaine. Ces images en noir et blanc sont retransmises et présentées au public dans la galerie sous forme d’une projection grand écran à échelle réelle, sur le mur blanc à droite. La présence d’une horloge dans la galerie, elle-même filmée et retransmise, souligne cet effet de jeu entre plusieurs moments, comme pour brouiller les repères temporels du spectateur. L’ imprévisibilité des images constitue un facteur de fascination et émotionnel très puissant. De plus, une caméra à l’intérieur de la galerie transmet ces images à un moniteur en vitrine, tourné vers l’extérieur, visible par les passants depuis la rue : le dedans est dehors et le dehors est dedans.
Le dispositif invite à une réflexion sur notre rapport au temps : Fred Forest a peint en lettres rouges sous l’image projetée sur le mur dans la galerie la mention : « À cette époque-là la rue Guénégaud était… ». Le direct de l’image en temps réel est donc donné à voir ici comme s’il s’agissait d’une image en différé. Le passage du visiteur de la rue, où il est « objet » filmé, dans la galerie où il acquiert le statut de » sujet » spectateur, puis son retour dans la rue de nouveau comme « objet », provoquent différents états temporels, juxtaposés et successifs, qui modifient sa situation et jouent sur sa pensée.
Cette image est donnée à voir comme un « objet » culturel à travers lequel la réalité sociale se virtualise par la suite ininterrompue d’informations visuelles provenant du milieu extérieur. C’est à partir de ce « point de vue » que peut s’effectuer une approche sociologique de l’espace urbain considéré.
Par l’usage de l’enregistrement vidéo et de sa diffusion, Fred Forest prétend manipuler la temporalité, une réalité filmée semblant devenir passée : « Cette réalité du présent, nous la donnons à voir comme s’il s’agissait déjà d’une image du passé… de notre passé », affirme Fred Forest. Ce dispositif crée un système de relations en temps réel entre la réalité physique de la rue et sa représentation cathodique reconstruite dans la galerie.
Cette présentation est accompagnée d’une bande sonore où on entend Pierre Restany et Vilém Flusser raconter leur reportage rue Guénégaud le 18 avril 1973, Restany du côté pair de la rue et Flusser du côté impair.
Ce projet est décrit dans le livret La télévision en partage : la télévision par câble et la vidéo, dirigé par Jacques Monnier-Rabal, Gérard Métayer et Robert Stéphane, publié à Lausanne en 1973 par l’Institut d’Étude et de Recherche en Information visuelle dans un dossier « Rue Guénégaud » (pages 31-41). Dans ce dossier Fred Forest décrit le projet, se prête à un entretien avec René Berger, retranscrit les propos (enregistrés au magnétophone) de René Berger et d’Edgar Morin analysant ce projet, puis il donne la parole aux deux participants / reporters (retranscription de leur reportage enregistré au magnétophone) Pierre Restany (pages 38-40), et Vilém Flusser (page 41).
Dans ce livret de 42 pages, on trouve aussi outre un dossier sur la télévision par câble, une description par Fred Forest de l’expérience de télévision en circuit fermé lors du séminaire Art et communication en décembre 1972, auquel Flusser participa, (page 19), et sa description du projet « Action vidéo et troisième âge » auquel Flusser participa également (pages 20-30).
L’Institut d’Étude et de Recherche en Information visuelle n’existe plus depuis vingt ans au moins. Nous n’avons pas été en mesure d’identifier un autre éditeur qui détiendrait des droits sur ce livret. Si c’était le cas, qu’il nous contacte pour être reconnu. Avec l’aimable autorisation de Fred Forest.
La description du projet ci-dessus doit beaucoup à la thèse d’Isabelle Lassignardie Fred Forest : catalogue raisonné 1963-2008 (Université de Picardie Amiens, 2010).
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